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OPINION : Alpha Condé, un président de la République à la légitimité problématique – Par  Dr El Hadji Cheikh Ibra Faye

Rédigé par leral.net le Mardi 7 Septembre 2021 à 23:41 | | 0 commentaire(s)|

Un coup d’Etat est un renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale et souvent brutale. On le distingue d’une révolution en ce que celle-ci est populaire. Le putsch est un coup d’Etat réalisé par la force des armes. Louis Napoléon en profite pour tenter d’obtenir de nouveau de l’Assemblée nationale […]

Un coup d’Etat est un renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale et souvent brutale. On le distingue d’une révolution en ce que celle-ci est populaire. Le putsch est un coup d’Etat réalisé par la force des armes.

Louis Napoléon en profite pour tenter d’obtenir de nouveau de l’Assemblée nationale le rétablissement du suffrage universel et l’abrogation de loi électorale du 31 mai 1850. Pendant ce temps, la proposition d’abrogation de la loi électorale est déposée à l’Assemblée nationale le 4 novembre 1851.

Nous voyons que les coups d’Etat ont une longue tradition tant en France au XVIIe siècle qu’en Amérique latine voire en Afrique. Cependant celui-ci reste condamnable, en ce sens qu’il porte un sacré coup à la démocratie, un coup d’arrêt aux institutions et constitue un recul net tant au plan politique qu’économique pour le pays concerné.

La presque totalité des pays d’Afrique ayant connus les putschs s’en sont remis difficilement. Mieux, ces pays sont rattrapés dix ans ou vingt ans plus tard par les méfaits des coups de force. Pis dans certains pays les conséquences sont parfois dramatiques. Si au XXIe siècle, les élites africaines et les populations se réjouissent des coups de force opérés dans nos pays, cela signifierait ni plus ni moins un échec patent de 60 ans d’indépendance, de processus de démocratisation dans les années 90 avec les fameuses conférences nationales souveraines.

Depuis ce dimanche 5 septembre 2021, la République de Guinée est à nouveau plongée dans un vide constitutionnel. Le tombeur du Président Condé, le Lieutenant-Colonel Mamady Doumbouya s’arroge tous les pouvoirs et replonge cet Etat situé dans le golfe de Guinée dans son troisième coup d’Etat de son histoire après ceux perpétrés le 03 avril 1984 par le Général Lassana Conté sur le Président intérimaire Lassana Beavogui au lendemain de la mort brutale et tragique du président Ahmed Sékou Touré. Le second coup d’Etat de la Guinée a eu lieu le 22 décembre 2008 après la mort du Président Lassana Conté, malade et cloué au lit depuis une décennie, c’est dans une situation confuse et dans un imbroglio politique que le Capitaine Moussa Dadis Camara s’empare du pouvoir en déposant cette fois-ci le président de l’Assemblée nationale d’alors Ahmed Tidiane Souaré. Ce dernier devait assurer la suppléance du défunt Président Conté.

Comment en est-on arrivé là ? Pourtant la trajectoire politique, académique et la dimension historique du Président Condé devrait emmener ce dernier à sortir par les portes de l’honneur et gagner une honorabilité intacte dans les langues de la postérité. Opposant historique et ayant à plusieurs reprises séjourné dans les geôles guinéennes sous les régimes des présidents Sékou Touré et Lassana Conté, Alpha Condé est devenu dès son contact direct avec le Pouvoir réfractaire à la démocratie, à la liberté et à la justice.

Par ailleurs, il s’est complétement métamorphosé dans le mauvais sens du terme. Il avait fini par renier les principes pour lesquels, il s’était toujours battu pendant presque trois décennies. L’opposition a été souvent malmenée et embastillée sous son régime du Président Condé. Un volte-face qui ne lui ressemblait pas, lui, le professeur pondéré, adoubé et adulé par le passé. Alpha Condé a sensiblement marqué la conscience historique, intellectuelle de nombreux africains et laissé des marques indélébiles, en sa qualité d’ancien dirigeant de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) créée en 1950, après les congrès de Lyon (avril 1950) et de Bordeaux (décembre 1950), afin de regrouper toutes les associations d’étudiants africains en France.

Le président Condé a toujours eu des relations troubles avec la légitimité. Pour rappel, il est arrivé au pouvoir sous d’intenses conciliabules, de compromis et de négociations. Il aura fallu l’élévation patriotique de son principal challenger Cellou Dalein Diallo pour qu’il accède au pouvoir avec la complicité flagrante d’une communauté internationale plus soucieuse par un retour rapide à l’ordre constitutionnel qu’à une sincérité du scrutin de 2010.

A l’époque la Guinée sortait d’une transition politico-militaire calamiteuse, catastrophique et tumultueuse dirigée d’abord le 22 décembre 2008 par le Capitaine Moussa Dadis Camara, ensuite par le Général Sékouba Konaté en 2010. Le premier tour du scrutin est organisé, Alpha Condé recueille 18% des voix là où Cellou Dalein Diallo, son principal rival a été crédité de 43% des suffrages.

Le Conseil national de transition en complicité avec certains ténors de la classe politique guinéenne et de la communauté internationale joue au dilatoire à des fins inavouées mettant ainsi en doute son impartialité. Là se trouve tout le nœud gordien du scrutin. La suite sera déterminante et décisive. Le tournant du scrutin résidait dans le décalage entre le premier tour et le second tour (un écart de 4 mois séparait les deux scrutins) du jamais vu dans l’histoire politique contemporaine du monde.

Depuis lors, le président Condé ne s’est jamais privé d’instrumentaliser les institutions guinéennes à sa guise. C’est sous ce rapport qu’il a été réélu dès le premier tour en 2015 et en 2020 dans des conditions plus moins douteuses. La crédibilité, la transparence et la sincérité du vote ont été remises en cause par de nombreux observateurs. Il s’y ajoute la lancinante et délicate question de l’ethnie qui a été à plusieurs fois brandie par Sékou Touré comme une arme de répression afin de se débarrasser de plusieurs de ses concurrents dont Aboubacar Diallo Telly ancien premier secrétaire général de l’OUA mort au camp Boiro en 1976, dans un complot imaginaire contre le pouvoir.

En effet, la question de l’ethnie est un talon d’Achille du système politique guinéen. Pour rappel la Guinée est subdivisée en quatre régions naturelles et chaque ethnie s’identifie à l’une de ses régions et cela rend le jeu démocratique difficile et biaisé.

Ainsi on distingue la Basse-Guinée (guinée maritime peuplé en majorité par les Soussou), la Moyenne-Guinée (Fouta-Djalon dominé par les Peuls), la Haute-Guinée (Mandingue peuplé en majorité de Malinké) et la Guinée Forestière (peuplée en grande partie par les Kissi, Guerzé et les Toma).

 Le Président Condé a souvent favorisé son ethnie au détriment des autres, il arrivait même qu’il recueille 100% des suffrages dans les circonscriptions électorales de la Haute-guinée dominée par les Malinkés, son ethnie. Ironie du sort, il est issu de la même ethnie que son bourreau, le Lieutenant-colonel Doumbouya. Ce dernier s’est sans doute servi de la jurisprudence de Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel français sous Mitterrand. Ce dernier rétorquait souvent au président Mitterrand : « Monsieur le Président de la République, le Conseil Constitutionnel a un devoir d’ingratitude vis-à-vis de l’exécutif ».

En nommant, Mamady Doumbouya en  charge de la sécurité présidentielle, le président Condé voulait sans doute perpétuer et entretenir le népotisme, le clientélisme et la dictature aussi longtemps possible dans son pays.

Ayant un caractère atypique, un caractère peu commode au bon voisinage et aux règles de bonne gouvernance, le président Condé s’est isolé de ses amis, des partenaires traditionnels de la Guinée et du monde de la bonne gouvernance. Il a été sous l’emprise mirobolante et rutilante du pouvoir. Un vrai gâchis et une véritable déception pour la trajectoire politique et historique de l’homme. Alpha Condé faisait partie des opposants historiques de la trempe d’Abdoulaye Wade, Laurent Gbagbo, Robert Mugabe. C’est à la fois pathétique et regrettable que les précurseurs des démocraties africaines soient perdus dans leurs désirs funestes de s’éterniser au pouvoir une fois aux affaires.

Le cas du président Condé est spécifique, en ce sens que l’homme est diplômé de la prestigieuse université de Sorbonne et ayant un passé politique et estudiantin qui forçait le respect et l’admiration. Avec la destitution du président Condé, l’Afrique tourne la page du dernier « opposant historique » au pouvoir après les parenthèses des présidents Wade au Sénégal, Tandian au Niger et de Gbagbo en Côte d’ivoire.

 Il appartient à la CEDEAO, l’UA et l’ONU d’agir avec plus de célérité afin de stopper la recrudescence des coups de force en Afrique de l’Ouest. Ces organismes devront accompagner le plus rapidement possible les transitions militaires au Mali et en République de Guinée par le truchement des élections inclusives, transparentes et démocratiques.

Tout le drame de l’Afrique réside dans l’absence de démocratie, de liberté et d’équité sociale dans nos pays. Ainsi, l’UA devrait être plus réactive dans l’approche, en ce qui concerne, la prévention des conflits. Cela permettrait d’éteindre et d’anticiper sur les potentiels germes de conflit politico-militaire ou constitutionnel.

La situation post-électorale en Guinée d’octobre 2020 au 5 septembre 2021 fut meurtrière devant le silence complice de la communauté internationale qui a plutôt préféré le « politiquement ou diplomatiquement correct » qu’à la fermeté vis-à-vis de la folie et l’avidité de pouvoir du président Condé.

L’élite intellectuelle africaine, la jeunesse et les populations sont de plus en plus exigeantes et l’aspiration de celles-ci à la démocratie et à la liberté sont devenues des demandes sociales au même titre que le riz, l’huile et la quête du mieux-être qui demeurent de véritables sources de soulèvements populaires.

Dr El Hadji Cheikh Ibra Faye 

Docteur ès Lettres modernes

 



Source : http://lesoleil.sn/opinion-alpha-conde-un-presiden...